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Ratifié  par 37 Etats sur les 54 que compte le continent africain, le protocole de Maputo demeure confronté à des obstacles tels que les pesanteurs socioculturelles qui entravent sa mise en œuvre. Notamment l’article 14 relatif au  droit de contrôle de la fécondité par la femme et à l’avortement médicalisé ; l’article  21 en rapport la succession et l’héritage à part égale entre l’homme et la femme et  l’article 9  stipulant la promotion de la parité et la participation égalitaire des femmes en politique sont aussi visiblement rejetés. Mais pourquoi tant d’obstacles et que faut-t-il faire ?  Entre mars et mai 2015, nous avons rencontré des spécialistes africains dont certains nous parlent des obstacles à la mise en œuvre dudit protocole et  nous propose des solutions.

 

Initialement, la charte internationale des droits de l’homme ne prenait pas en compte la situation particulière des femmes africaines dont la grande majorité demeure victime de toute forme de violence à la fois sexuelle, verbale, psychologique, économique, y compris la polygamie. A cela s’ajoute la discrimination sous toutes ses formes et les stéréotypes sociaux. 

Ainsi se justifie le Protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique ou Protocole de Maputo, adopté le 11 juillet 2003, lors du second sommet de l’Union africaine à Maputo, au Mozambique. Ce protocole qui vient compléter la charte internationale, vise à promouvoir et assurer le respect des droits des femmes africaines ; en effet, il exige des gouvernements africains l’élimination de toutes les formes de discrimination et de violence à l’égard des femmes en Afrique et la mise en œuvre d’une politique d’égalité entre hommes et femmes.

Parmi les dispositions du protocole figurent le droit à la vie, le droit à l’intégrité physique et à la sécurité des personnes, le droit de participer à la vie politique et aux processus de décision, le droit à l’héritage, le droit à la sécurité alimentaire et à un logement décent, la protection des femmes contre les pratiques traditionnelles dangereuses et la protection lors des situations de conflit armé. De même que l’accès à la justice et une protection égale devant la loi pour les femmes.

 Mais jusqu’ici, l’article 14 de ce protocole portant sur le droit à l’avortement médicalisé, l’article 21 relatif à l’héritage équitable entre homme et femme et  l’article 9  stipulant la promotion de la parité et la participation égalitaire des femmes en politique sont objets de discussion et de rejets dans de nombreux pays. En effet, le protocole de Maputo prend en compte le droit à la santé sexuelle et reproductive de la femme, y compris le droit à l’information et la communication concernant le contrôle de sa fertilité, la liberté de décider d’avoir des enfants et de leur nombre. 

 

Le cas des enfants issus des viols au Nord Mali

 

Maitre Saran Keita, épouse Diakité, Avocate et membre de l’Association des juristes Malienne (AJM), par ailleurs présidente du réseau pour la paix, la sécurité des femmes de l’espace CEDEAO/ Antenne du Mali, a expliqué que le protocole de Maputo est entré en vigueur au Mali et a divisé la population. Les religieux en sont contre tandis que les autres sont pour son applicabilité. « A mon humble avis, une femme pourrait demander à avorter si l’enfant qu’elle porte est le fruit d’un viol ou de l’inceste, par ce que le protocole la protège, bien que l’avortement ne soit pas autorisé au Mali. Cependant, a contraception est accepté et les pilules se vendent partout », a-elle souligné. Elle a, particulièrement, déploré le cas des enfants issus du viol au Nord Mali. « Notre association est en train de gérer des cas difficiles, suite à qui s’est passé au Nord du Mali, par ce que  les enfants issues du viol  sont là ; certaines mères refusent de les  allaiter  par ce que qu’elles n’ont pas désiré leur venu au monde et ne souhaitent en supporter les frais ; ces enfants marginalisés sont des rebelles en perspectives, par ce que plus tard, il comprendront comment ils sont venus au monde, ils se sentiront stigmatisés et pourraient prendre les armes. Il aurait été mieux que ces enfants ne soient pas nés ». Cependant, elle a précisé que l’AJM est en train de faire un plaidoyer pour que l’Etat prenne en charge ces enfants non désirés et qui se sentent rejetés par la société. 

Maitre Saran Keita est également la  vice-présidente  vice du réseau Ouest Africain pour l’édification de la paix, (WANEP) au Mali, une organisation sous-régionale ouest africaine en charge de la paix, de la sécurité et de la promotion des droits des femmes en Afrique de l’Ouest.

 De son point de vue, il faut domestiquer  le protocole, c’est-à-dire adapter son contexte aux textes de la législation nationale et utiliser ses différents articles au même titre que les lois nationales. Dans ce sens, il affirmé que l’AJM a formé les journalistes, avocats, magistrats au protocole et le dit document a été traduit dans les langues national  au Mali grâce à l’AJM et fait écho partout au Mali.

 

Les droits des femmes bafoués en Mauritanie

La vice-présidente de l’Association des Femmes Chefs de Famille (AFCF), Mme Salimata Sy,  déplore et condamne l’injustice dont est victime la présidente de l’Association des femmes chef de famille de la Mauritanie, Aminetou Mint el-Moctar. Cette dernière  a fait l’objet d’une fatwa  (Avis juridique donné par un spécialiste de loi religieuse islamique),  pour avoir demandé, dans un article de presse, un procès équitable en faveur de Cheikh Ould Mkheitir, jeune homme de 28 ans accusé d’apostasie et alors détenu à la prison de Nouadhibou, dans le nord-ouest de la Mauritanie. « Quiconque la tue ou lui arrache les deux yeux sera rétribué par Allah », indique cette fatwa émise par Yehdhih Ould Dahi, chef de l’association islamiste radicale Ahbab Errassoul (« Les amis du prophète »), et publiée sur internet.

Mme Sy a soutenu que la Mauritanie étant un pays hautement islamique,  très souvent, les femmes n’ont pas la capacité de s’affirmer, si bien que lorsqu’elles sont victime de silence, elles n’ont pas le courage de dénoncer leurs époux ni de les amener en justice. « Nous sommes perçus comme une association perturbatrice qui prône des valeurs qui ne sont les nôtres et faisant la promotion de la culture occidentale dans la société mauritanienne ; nous sommes traites de mécréantes et des femmes perverses agissant à l’encontre de l’Islam ; c’est ce qui justifie la fatwa de notre présidente », a-t-elle soutenu.  Par ailleurs, elle a révélé que le problème de caste et de rang social existe et l’esclavage est héréditaire du coté maternelle et se transmet de génération en génération. Elle a indiqué que les esclavage ont peur d’être libre un jour parce qu’ils trouvent  leur situation normale; ils sont habitué à ne pas avoir de repos, à servir leur maître. Quant à la femme esclave, renchéri-t-elle est sexuellement exploitée, en l’absence de la maitresse de maison, car même son corps ne lui appartient pas.   S’il lui arrive d’avoir des enfants avec le maître de la maison, ce dernier refuse d’en assumer la paternité. De plus, dans certaines familles, le gavage des filles est toujours d’actualité, pour qu’elles  prennent vite des rondeurs afin de se marier très précocement. « On les force à manger et même si elles en viennent à vomir, elles sont obligées de s’empiffrer encore », a dit Mme Sy. Elle a précisé, l’AFCF a été créée en 1999. Sa mission première est de promouvoir la cause des droits humains, et de défendre les droits des femmes et des enfants. L’AFCF s’efforce d’apporter son appui aux femmes en situations précaires (particulièrement les femmes chefs de famille), de créer un réseau d’associations œuvrant pour améliorer les conditions de vie des femmes et des enfants, de contribuer à promouvoir l’égalité des sexes et une solidarité active entre les femmes de classes sociales différentes.

Ces femmes qui ont en charges toutes les dépenses et la gestion de la famille ont jugé bon de se mettre en association pour mieux défendre leurs droits. Elles sont, généralement, veuves, divorcées ou des femmes mariées mais dont les maris sont invalides. Par la suite l’association s’est élargie à toutes les autres femmes  qui ont également un problème de reconnaissance de  leurs droits. D’après elle,  au départ, il était question des droits des enfants et des femmes ; nous menons des activités de plaidoyer en faveur de la promotion des droits de la femme au regards des textes qui existent ». Elle a souligné qu’à cet effet, l’association dispose de plusieurs centres dont un pour l’hébergement des femmes victimes d’esclavage, un autre pour les filles en déperdition  scolaire, un centre pour la formation en droit de l’Homme et en leadership et un centre d’écoute pour les femmes victime de violence dont l’association assure l’accompagnement.

Une marche de protestation contre le protocole de Maputo au Niger

 

Le Directeur des programme du Réseau Inter - Africain pour les Femmes, Médias, Genre et Développement (FAMEDEV), Medoune Seck a soutenu que ladite organisation basée à Dakar, intervient en Afrique de l’Ouest et du Centre, et est  chargée de promouvoir les droits de toutes les couches sociales de la population. Celui-ci estime que le protocole de Maputo est un document unique en son genre par ce qu’il regroupe tous les droits des femmes, rédigé par des africains et africaines pour des africains, suite à l’adoption de la charte  africaine  des droits de l’Homme et des peuples. Ce protocole, d’après lui, nécessite aujourd’hui une ratification par les 54 pays africains. Il a affirmé qu’il a effectué de nombreuses missions en Afrique de l’Ouest et du centre pour la ratification et la domestication  du dit protocole mais qu’il rencontre de nombreuses réticences du coté des religieux et des gardiens de la tradition.  « Au Niger ou j’ai été reçu par tout le gouvernement dont 5 ministres, le parlement et l’Observatoire national de la communication mais les religieux  et les gardiens de la culture ont marché sur l’Assemblée nationale le jour du vote, pour éviter l’adoption de cette loi et menacé le gouvernement si bien que la loi a tété rejetée ». De son avis, certains gardiens de la tradition pensent que l’adoption de cette loi relative à l’avortement médicalisé en cas de viol, d’inceste et grossesse non désirée  (article 14) pourrait entrainer le libertinage. De même, dans la religion musulmane, l’homme doit hériter  doublement par rapport à la femme alors que le protocole exigé que l’héritage soit partagé équitablement (Article 21 : relatif à la succession). Il a noté que certains hommes politiques s’opposent à la promotion de la parité et la participation égalitaire des femmes en politique (article 9).

 

Que faire face à une telle situation ?

 

Du point de vue de M. Seck Medoune, il faudra , d’une part, une approche multisectorielle nécessitant des partenariats sectoriels et impliquant le domaine de la santé, de  l’éducation, de même que les leadeurs religieux, la société civile et les différentes catégories socioprofessionnelles des différents secteurs de développement pour mettre sur le monde au même niveau d’information et de compréhension  des dispositions du protocole ; et d’autre part, une démarche exclusive impliquant les religieux, sociologues, juristes les psychologues et les gardiens de la tradition pour que tous soient au même niveau d’information.  D’après lui, cela permettra de soulever les barrières dues aux non-dits et incompréhensions du protocole ; d’autant plus que, malgré tous  les efforts faits au plan national, régional et international, le protocole reste méconnu et l’on ne saurait ratifier un document qui n’est pas connu. Aussi, a-t-il préconisé des sessions de formation pour les journalistes et les communicateurs traditionnels qui jouent un rôle très importants dans certains pays comme le Sénégal, le Mali…De même que le professionnels du droit ; y compris la mise en place de mécanisme de communication adaptés pour vulgariser le document, pour commencer ; il faudra aussi  utiliser le web 2 .0 et mettre a contributions, les réseaux sociaux : facebook, twitter, skype, viber,etc. « Nous avons organisé une formation au profit des journalistes et juriste d’Afrique de l’Ouest et il est ressorti des travaux  que si les dispositions du protocole sont cités dans les tribunaux, les juge s’y réfèrent dans l’exercice de leur fonction», a-t-il affirmé.

 

Qu’en est-il  du Burkina Faso ?

 

La  coordinatrice de la Coalition burkinabè pour le suivi de la mise en œuvre de la Convention  sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF), Franceline Toé / Bouda, a révélé que depuis l’adoption du protocole par l’Assemblée nationale du Burkina Faso, en 2005, les femmes juristes en ont fait leur cheval de bataille. Elles l’ont vulgarisé auprès de leur concitoyennes pour qu’elles en prennent connaissance et se l’approprient, les textes De ce protocole pouvant être évoqués devant toutes les juridictions, sans exception. « Nous avons sillonné les treize régions pour former les femmes, les députés, les chefs coutumiers, les conseillers municipaux, etc. », a-t-elle précisé. Elle a, particulièrement, relaté qu’à l’occasion du dixième anniversaire de leur association créée en 2004,  ce protocole a fait l’objet d’une grande conférence organisée par les femmes juristes et ceci, a travers des modules de formation avec des termes plus simplifiés pour une meilleur compréhension de ce document. Cependant, cette juriste reconnait que les pesanteurs socioculturelles persistent ; et de son avis, même si les gens connaissent le protocole, ils se refusent à  en accepter certaines dispositions. « C’est une petite révolution  car nous bousculons les habitudes des gens, les stéréotypes et les constructions sociales de la division du travail pour espérer faire tomber les barrières », a-t-elle laissé entendre. Elle a émis le vœu que les parents prennent bien soin des filles en les mettant à l’école et en les protégeant. Dans ce sens, elle a confié que les filles sont, certes, une véritable richesse  mais le sont encore davantage si elles sont cultivées.

 

Les avantages du protocole du Maputo

De l’avis de la directrice exécutive du Réseau Inter - Africain pour les Femmes, Médias, Genre et Développement (FAMEDEV), Amie Joof, le protocole a de nombreux avantage pour les pays africains : « C’est un document historique produit par des Africains et portant sur les problèmes que vivent les femmes  et les filles d’Afrique;  ce document a été signé par les chefs d’Etat africains qui sont des hommes. C’est  un atout c’est a dire que les hommes ont sont conscient des défis auxquels font face les femmes ». Elle estime que ce qui reste à faire maintenant,  c’est de s’approprier ce document en tant que citoyen africain et mettre la pression sur les gouvernements qui ne l’ont pas encore ratifié  pour qu’ils le fassent  et d’assurer sa mise en application dans les pays qui l’ont ratifié. « Au niveau  de notre coalition qui regroupe plusieurs organisations de droits humains, nous avons formé des juristes qui sont désormais outillés et savent que le protocole est plus fort que des lois nationales », a-t-il affirmé. Elle se réjouit alors du fait que les lois internationales sont au dessus des lois nationales et que certains juristes utilisent ce document pour mieux protéger les femmes.

 

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L’Article 14, intitulé "Droit à la santé et au contrôle des fonctions de reproduction”, 
est à l’origine de la polémique. 

 

Voici l’intégralité dudit article.

1. Les Etats assurent le respect et la promotion des droits de la femme à la santé, y compris la santé sexuelle et reproductive. Ces droits comprennent :
a) le droit d’exercer un contrôle sur leur fécondité;
b) le droit de décider de leur maternité, du nombre d’enfants et de l’espacement des naissances;
c) le libre choix des méthodes de contraception;
d) le droit de se protéger et d’être protégées contre les infections sexuellement transmissibles, y compris le VIH/SIDA;
e) le droit d’être informées de leur état de santé et de l’état de santé de leur partenaire, en particulier en cas d’infections sexuellement transmissibles, y compris le VIH/SIDA, conformément aux normes et aux pratiques internationalement reconnues;
f) le droit à l’éducation sur la planification familiale.
2. Les Etats prennent toutes les mesures appropriées pour :
a) assurer l’accès des femmes aux services de santé adéquats, à des coûts abordables et à des distances raisonnables, y compris les programmes d’information, d’éducation et de communication pour les femmes, en particulier celles vivant en milieu rural;
b) fournir aux femmes des services pré et post-natals et nutritionnels pendant la grossesse et la période d’allaitement et améliorer les services existants.
c) protéger les droits reproductifs des femmes, particulièrement en autorisant l’avortement médicalisé, en cas d’agression sexuelle, de viol, d’inceste et lorsque la grossesse met en danger la santé mentale et physique de la mère ou la vie de la mère ou du fœtus.

Droit des femmes en Afrique : Pourquoi Le protocole de Maputo tarde-t-il à se traduire en réalité sur le terrain ?
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